Intégrer le multitâche dans une activité de rédaction

Les étudiants universitaires ont changé. Au baccalauréat, les étudiants «traditionnels», c’est-à-dire ceux qui sont âgés de 21 ans et moins, qui étudient à temps plein, qui préfèrent suivre leurs cours le jour et qui travaillent moins de 15 heures à l’extérieur de l’université, entre autres caractéristiques, ne représentent que 21% de la population étudiante (Pageau et Bujold, 2000). Les groupes sont donc hétérogènes. Ajoutons à cela que dans quelques années, les universités accueilleront les premiers étudiants de la génération Z, ceux qu’on appelle les digital natives. Pour certains professeurs d’université, l’adaptation à ces générations d’étudiants différents d’eux représente un défi de taille (Dyke et Deschenaux, 2008).

Les différences générationnelles pourraient s’étendre au-delà des caractéristiques sociales, des valeurs et des habitudes de vie. Dans un texte publié en 2001, Marc Prensky affirme que les digital natives seraient capables de faire plusieurs choses en même temps, contrairement aux (pauvres) immigrants numériques que sont les enseignants des générations précédentes. Je ne devrais donc pas m’offusquer du fait que certains étudiants regardent une vidéo ou envoient des textos pendant mes cours.

Mais les étudiants peuvent-ils apprendre et faire autre chose en même temps? Plusieurs recherches scientifiques iraient dans le sens contraire. Dans un article publié en 2013, la journaliste Annie Paul Murphy explique que les étudiants qui s’adonnent au multitâche pendant la réalisation d’un travail apprennent moins bien que s’ils s’étaient concentrés uniquement sur le travail en question. Les adeptes du multitâche comprendraient moins bien, se souviendraient moins des notions apprises et auraient plus de difficulté à appliquer les connaissances acquises dans de nouveaux contextes.

À chaque début de trimestre, je rappelle aux étudiants les méfaits du multitâche en contexte d’apprentissage… mais plusieurs d’entre eux n’en font qu’à leur tête. Si certains étudiants ne peuvent pas résister au multitâche, je n’ai d’autre choix que d’adapter mes activités pédagogiques. En grande primeur, voici donc une activité de rédaction où les étudiants doivent effectuer trois tâches en même temps.

Vous travaillez au bureau du Premier ministre de l’Ontario. Votre mandat de la matinée consiste à rédiger un bref discours de 300 mots, que le PM lira lors de l’inauguration de l’université francophone de l’Ontario. Au même moment, des citoyens manifestent contre la légalisation du cannabis et vous devez absolument écouter/regarder ce qui se passe dans les médias numériques, car vous aurez à rédiger un résumé de la situation cet après-midi, en vue d’un point de presse que doit faire le PM. De plus, vous êtes responsable de la formation d’une nouvelle employée et cette dernière vous envoie par courriel un texte que vous devez réviser le matin même.

Comment gèreriez-vous cette situation?

Références citées

Dyke, N et Deschenaux, F. (2008). Enquête sur le corps professoral québécois. Faits saillants et questions. Montréal : FQPPU.

Murphy, A. P. (3 mai 2013). You’ll never learn! Students can’t resist multitasking, and it’s impairing their memory. Slate Magazine.

Pageau, D. et Bujold, J. (2000). Dis-moi ce que tu veux et je te dirai jusqu’où tu iras. Les caractéristiques des étudiantes et des étudiants à la rescousse de la compréhension de la persévérance aux études. Analyse des données des enquêtes ICOPE (1er volet) : les programmes de baccalauréat. Québec : Université du Québec à Québec, Direction du recensement étudiant et de la recherche institutionnelle.

Prensky, M. (2001). Digital Natives, Digital ImmigrantsOn the Horizon, 9(5), 1-6. 

Nous sommes tous des rédacteurs professionnels

En rédactologie, on distingue normalement deux types de rédacteurs : les rédacteurs professionnels et les rédacteurs fonctionnels. Dans ce modèle, les rédacteurs professionnels sont ceux pour qui l’activité principale consiste à rédiger des textes. Ils peuvent être pigistes ou employés d’une organisation. Pour les rédacteurs fonctionnels, la rédaction constitue une activité parmi d’autres. Par exemple, dans le cadre de mes fonctions de professeure, je rédige toutes sortes de textes, mais cela ne représente pas ma seule activité.

Selon cette terminologie, je serais considérée comme une rédactrice fonctionnelle et non comme une rédactrice professionnelle. Cela est absurde, puisque j’enseigne la rédaction professionnelle! Vous l’aurez compris: je suis en crise existentielle.

Par ailleurs, il me semble que le qualificatif ‘fonctionnel’ est connoté négativement, contrairement à ‘professionnel’, qui renvoie à une image positive. Qualifier un rédacteur de « fonctionnel » ne revient-il pas à dire qu’il est fonctionnel en rédaction, mais qu’il lui manque quelque chose? D’ailleurs, et c’est peut-être pour cette raison, certains rédactologues utilisent l’adjectif ‘occasionnel’ plutôt que ‘fonctionnel’.

Je serais donc une rédactrice occasionnelle. Cela ne me satisfait pas.

Comment alors nommer les personnes qui rédigent des textes dans le cadre de leur travail, mais pour qui la rédaction n’est pas la seule activité? Dans un billet précédent, j’ai utilisé l’expression ‘travailleurs du texte’, mais, soyons francs, cette expression ne se répandra pas dans les écrits scientifiques. Et si la rédaction professionnelle incluait toutes les activités de rédaction réalisées dans le cadre du travail? La policière qui rédige un rapport d’enquête, le fonctionnaire qui rédige une note d’information, l’enseignant qui rédige un manuel pédagogique (eh oui, j’en reviens toujours à moi)… Toutes ces personnes font de la rédaction professionnelle!

Voilà. Je me sens mieux.

© Marie-Josée Goulet

Réflexion sur quelques emplois en rédaction

Les étudiants à qui j’enseigne la rédaction me demandent souvent quels emplois les attendent une fois leur diplôme universitaire en main. Afin de leur répondre adéquatement, je me balade à temps perdu sur les sites d’emplois. Voici une brève réflexion sur mes trouvailles de la semaine.

D’abord, certains sites offrent dans leurs options de recherche la catégorie «rédaction et traduction». Rien d’étonnant dans ce mariage, étant donné que plusieurs des compétences requises pour exercer ces deux professions sont connexes, certaines même similaires. L’on peut toutefois s’étonner que certains emplois impliquent une part de traduction, alors que le titre du poste ne le mentionne pas. Par exemple, dans une annonce de Coordonnateur des contenus et rédacteur, il est écrit que la personne sera «responsable de la gestion des projets de la firme pour tout ce qui touche la planification des contenus, la rédaction et la traduction». Dans un autre exemple, le poste s’intitule Rédacteur et l’une des tâches est décrite ainsi: «Collaborer avec tous les membres de l’équipe du marketing dans la réalisation du volet rédactionnel de leurs mandats respectifs et procéder à la création, la révision, la correction d’épreuves et la traduction de contenus». Pour ces employeurs, la rédaction engloberait donc la traduction, ce qui est évidemment inexact.

Je suis d’autant plus contrariée que dans cette dernière annonce, l’employeur exige un diplôme en communication ou en journalisme, alors que les tâches décrites relèvent davantage de la rédaction. L’annonce mentionne bien «diplôme équivalent» dans les exigences, mais cela ne suffit pas à m’empêcher de penser que les formations universitaires en rédaction et en traduction sont méconnues.

Toujours dans la même annonce, je remarque que l’on demande au rédacteur de pouvoir produire une grande diversité de textes: descriptions de produits, textes publicitaires, mémos, contenus des médias sociaux, rapports de recherche, etc. À ma connaissance, les programmes de communication ou de journalisme n’abordent pas les genres administratifs que sont les mémos et les rapports. J’avancerais même que dans certains programmes de communication, la rédaction est peu présente de manière générale. L’on est donc en droit de s’interroger sur l’adéquation entre la formation exigée et la nature de certains emplois. Selon moi, afin de pouvoir s’acquitter convenablement des tâches décrites dans l’annonce précitée, une personne devrait posséder une formation en rédaction ET en communication.

Enfin, dans une autre offre d’emploi que j’ai consultée cette semaine, on annonce un poste de Rédacteur SEO. SEO… Sérieux Efficace Organisé? Je suis trop drôle. SEO, c’est l’acronyme de «search engine optimization». En français: optimisation pour les moteurs de recherche. On décrit donc, dans cette annonce, une personne capable d’appliquer les techniques de rédaction permettant d’augmenter la visibilité des pages web dans les résultats des moteurs de recherche. On utilise aussi l’expression «référencement naturel» pour désigner les pratiques de rédaction SEO. Cet exemple est révélateur de nouvelles compétences que certains employeurs ont attribuées aux rédacteurs. À mon avis, les rédacteurs devraient s’approprier rapidement ces expertises liées aux contenus web et aux médias sociaux. Sinon, d’autres le feront…

Pour conclure, je suis plus que jamais convaincue que plusieurs emplois requièrent des compétences avancées en rédaction, mais que cela n’est pas toujours explicite dans le nom du poste ou dans les diplômes exigés. Mon conseil aux chercheurs d’emploi: postulez même si vous ne correspondez pas exactement au profil demandé.

© Marie-Josée Goulet

Le spectre de la rédaction professionnelle

La rédaction professionnelle est une activité complexe qui requiert une grande capacité d’abstraction, des connaissances expertes et possiblement une part de talent. Au bureau du Secrétaire général de l’UQO, on l’a compris! En 2011, alors qu’on cherchait à pourvoir le poste d’attachée d’administration, Mireille Auger a été approchée: on la savait douée pour la rédaction et on reconnaissait que ce poste nécessitait beaucoup de rédaction.

Photo Mireille Auger

Mireille Auger, attachée d’administration au Secrétariat général de l’UQO (crédit photo: Marc-André Bernier)

Comme son titre l’indique, Mireille Auger doit s’acquitter de responsabilités administratives, mais ce qui nous intéresse ici, ce sont ses tâches rédactionnelles. Elle produit principalement deux genres de textes : des procès-verbaux et des hommages. Les procès-verbaux sont issus des réunions auxquelles elle assiste, notamment le conseil d’administration, le comité exécutif et la commission des études de l’UQO. Quant aux hommages, ils sont commandés lorsque des prix ou des distinctions sont décernés, entre autres le doctorat honoris causa. Vous en conviendrez, ces deux genres de textes sont très différents: le procès-verbal doit tendre vers l’objectivité, tandis que l’hommage est par définition subjectif.

Mireille Auger me confiait en entrevue que la transition entre les deux genres de textes n’est pas toujours facile. D’un point de vue théorique, ce défi s’explique facilement. Prenons ce magnifique croquis, censé représenter le spectre de la rédaction professionnelle.spectre-2
Comme on peut le voir, le spectre de la rédaction professionnelle va de la rédaction technique à la rédaction littéraire. Dans le domaine technique, les rédacteurs utilisent des modèles clairement définis. Vous n’avez qu’à consulter quelques manuels d’emplois qui trainent à la maison, par exemple le guide d’utilisation du grille-pain ou les spécifications techniques du téléviseur, pour constater que les textes techniques suivent des normes de présentation et de rédaction relativement bien établies. À l’autre extrémité du spectre, c’est le domaine littéraire. Dans cette zone, les rédacteurs ne sont pas tenus de s’en tenir aux modèles. En fait, déroger aux règles peut même être souhaitable.

Autre différence : le style linguistique des deux domaines. En rédaction technique, la clarté et la simplicité sont primordiales, tandis que pour le texte littéraire, c’est la qualité esthétique qui primera. Tous les autres genres de textes (et ils sont nombreux!) se situent quelque part entre ces deux extrémités. Le hic, c’est que chaque contexte de rédaction étant unique, un déplacement (même minime) entraine des différences dans les normes (explicites ou implicites) de rédaction.

Pour reprendre les exemples de notre rédactrice, on pourrait situer les PV autour du point vert et les hommages autour du point rouge. La distance entre les deux points est donc assez grande. Je parie qu’à naviguer entre ces deux points du spectre, Mireille Auger ne s’ennuie jamais!

Pour un logiciel de rédaction intégré

Les recherches que j’effectue sur la rédaction numérique m’ont amenée à conduire en 2011 un groupe de discussion avec 8 rédacteurs professionnels. Avec cette recherche, dont les résultats ont été publiés dans la revue Scripta, je poursuivais deux objectifs : 1) vérifier l’étendue des outils informatiques utilisés par les travailleurs du texte et 2) identifier les défis liés à la rédaction numérique.

Sans surprise, les rédacteurs interrogés ont confirmé qu’ils utilisaient de nombreux outils informatiques: traitement de texte, moteur de recherche Web, messagerie, correcteur, dictionnaire électronique, ouvrage de référence en ligne, plateforme de dépôt de documents, tableur, logiciel de reconnaissance vocale, etc. Ajoutons à cela que la réalisation d’un projet de rédaction implique généralement de consulter de multiples documents comme des pages Web, des courriels, des livres numériques, des textes partagés, etc. Comme vous pouvez l’imaginer, la combinaison des outils utilisés et des documents consultés entraîne une multiplication des fenêtres à travers lesquelles le rédacteur doit naviguer. Cette réalité a d’ailleurs été décrite dans une étude de cas publiée en 2014 dans le Journal of Writing Research.

Et c’est justement cette alternance entre les fenêtres que les rédacteurs interrogés ont identifiée comme l’une des principales difficultés de travailler avec les outils informatiques. Selon eux, leur poste de travail est saturé, ce qui ralentirait leur productivité et nuirait à leur créativité. Toutefois… ces mêmes rédacteurs accueillaient avec enthousiasme l’idée d’utiliser de nouveaux outils. C’est paradoxal, non? Ces positions ont été prises à des moments différents de la discussion, ce qui pourrait expliquer en partie la contradiction.

Il n’en demeure pas moins que la situation est réellement paradoxale : il existe plus d’outils que ce que les rédacteurs connaissent et utilisent, et d’autres outils seront créés… alors que le poste de travail est déjà saturé. Attendrons-nous que Microsoft ajoute des fonctions à son traitement de texte? Ou créerons-nous, de concert avec l’industrie langagière, un environnement informatique intégré, dédié à la rédaction professionnelle et basé sur les besoins des utilisateurs?

Je ne parle pas ici de simplement « incorporer » des outils dans un logiciel existant, comme lorsqu’on lance le programme Antidote dans Word et qu’une autre fenêtre s’ouvre. Je fantasme plutôt sur un logiciel de rédaction véritablement intégré et ce logiciel n’a pas encore été créé. Et vous, quel est votre logiciel de rêve? Partagez vos idées en publiant un commentaire!

Note : Je salue au passage les personnes qui ont participé à mon étude et les remercie une fois de plus pour leur précieuse contribution à la recherche.

© Marie-Josée Goulet