Êtes-vous un rédacteur de type Zola ou Valéry?

En critique génétique, un courant linguistico-littéraire, on étudie l’activité d’un auteur donné à partir des diverses traces que ce dernier a laissées: brouillons, plans, schémas, versions successives, épreuves, etc. Ainsi, on a déterminé que Zola produisait plusieurs plans avant de passer de l’idée au texte (approche par programme), tandis que Valéry passait directement de l’idée au texte, puis révisait, puis recommençait à écrire (approche par processus).

En psychologie cognitive, un autre courant lié aux études langagières, on distingue deux méthodes générales de rédaction : classique et romantique. La méthode classique consiste à créer un plan du texte avant d’entreprendre la composition, à la manière de Zola. Dans la méthode classique, on exécute les étapes du processus de rédaction dans l’ordre suivant : planification, traduction des idées en mots et révision. C’est la méthode canonique, celle habituellement enseignée à l’école. Personnellement, j’ai besoin de planifier avant d’écrire. (Tiens, tiens… Est-ce là une caractéristique qui pourrait expliquer pourquoi j’adore lire Zola?)

Quant à elle, la méthode romantique (je n’invente rien : les spécialistes la désignent vraiment de cette manière) peut être définie comme une stratégie consistant à alterner entre les phases de « liberté », c’est-à-dire celles où le rédacteur exprime librement ses idées dans un flot continu de mots, et les phases de « contrôle », c’est-à-dire celles où le rédacteur évalue et corrige son texte. Dans la méthode romantique, les étapes du processus de rédaction se présentent dans un ordre différent que dans la méthode classique : on traduit d’abord les idées en mots, on révise puis on planifie la suite. C’est donc dire que la planification n’est possible qu’au terme d’au moins une phase de composition-révision, à la manière de Valéry.

Et vous? Êtes-vous de type Zola (classique) ou Valéry (romantique)? Si vous répondez les deux, vous n’êtes pas dans le champ! Les méthodes classique et romantique ne sont pas exclusives. J’irais même jusqu’à dire que ni l’un ni l’autre des extrêmes n’est souhaitable. Par exemple, le fait de s’abstenir de déroger à son plan pendant la composition pourrait nuire à la créativité. Par ailleurs, le fait que les écrivains adoptant la méthode romantique consacrent eux aussi du temps à la planification confirme à mon avis toute l’importance de cette phase dans le processus de rédaction. Qu’en pensez-vous?

© Marie-Josée Goulet

Note: Ce billet est largement inspiré de l’article « The study of professional writing. A joint contribution from cognitive psychology and genetic criticism », écrit par Denis Alamargot et Jean-Louis Lebrave, publié en 2010 dans la revue scientifique European Psychologist, vol. 15(1), pages 12-22.

Qui sont les travailleurs du texte?

J’aime l’expression travailleurs du texte pour désigner les personnes qui rédigent des textes dans le cadre de leur travail. Pas parce qu’elle évoque une autre expression que je ne nommerai pas ici, mais bien parce qu’elle rappelle que la rédaction est un travail. Dans ce tout premier billet du Rédacto(b)logue, je donne quelques caractéristiques des travailleurs du texte. Peut-être vous reconnaitrez-vous?

Premièrement, les travailleurs du texte sont partout.

Ah oui? Oui. En plus des professions naturellement associées à la rédaction, plusieurs autres endroits peuvent cacher des travailleurs du texte. Un sondage pancanadien réalisé par mon équipe de recherche confirme cette hypothèse. Parmi les 400 rédacteurs interrogés, 46 % d’entre eux exercent une profession dite langagière (essentiellement la rédaction, la révision ou la traduction) tandis que 54 % exercent une profession non langagière. Voici quelques exemples de cette catégorie : agent de recherche/d’information, agent de communication/relationniste, analyste, consultant, gestionnaire, coordonnateur, directeur, journaliste, adjoint administratif, commis administratif, professeur/enseignant. Ces gens ne sont pas des rédacteurs? Peut-être pas dans le sens strict du terme, mais certains d’entre eux rédigent des textes quotidiennement! Et parfois même toute la journée!

Deuxièmement, les travailleurs du texte sont nombreux.

Selon des données publiées en 2006 par Statistique Canada sur la classification des professions (malheureusement, on n’a rien de plus récent…), il y aurait plus de 50 000 rédacteurs professionnels au Canada. Cette estimation était basée sur les 3 catégories de professions suivantes :

  • Auteurs, rédacteurs, écrivains;
  • Réviseurs, rédacteurs-réviseurs et chefs du service des nouvelles;
  • Journalistes.

Si l’on admet que d’autres professions cachent des travailleurs du texte, comme je l’ai démontré plus haut, il est clair que le nombre de rédacteurs devrait être réévalué à la hausse.

Troisièmement, les travailleurs du texte possèdent une expertise.

Selon Karen Schriver, une rédactologue américaine, l’expertise du rédacteur professionnel est double : d’une part en communication écrite, d’autre part en désign visuel. Non seulement le rédacteur professionnel doit-il posséder des connaissances expertes dans ces deux domaines, mais aussi doit-il savoir agencer judicieusement les contenus verbal et visuel lors de la  rédaction d’un texte. C’est donc dire que les travailleurs du texte sont également des créateurs!

Afin de poursuivre votre réflexion sur l’expertise du rédacteur professionnel, je vous recommande de lire l’article de Sylvie Lamothe, publié dans le Portail linguistique du Canada. Une véritable inspiration pour la reconnaissance des travailleurs du texte.

© Marie-Josée Goulet