Dans une conférence donnée en 2010, Sir Ken Robinson affirme que nous devons changer notre manière de concevoir l’éducation publique. Selon Robinson, nos systèmes d’éducation actuels ne mettraient en valeur qu’une forme d’intelligence, soit la capacité de raisonner selon une logique déductive. La scission ainsi créée entre les compétences «intellectuelles» et les compétences «non intellectuelles» aurait pour effet, toujours selon Robinson, de laisser pour compte un grand nombre de personnes.
Les propos de Robinson ont fait résonner en moi plusieurs expériences. Comme cette fois où des étudiants m’avaient demandé pourquoi j’abordais en classe des sujets «inutiles» tels que l’histoire de la langue française (nous étions dans un cours de linguistique pour les futurs enseignants du français). À l’époque, je les ai jugés durement, mais je réalise aujourd’hui que les étudiants sont des «produits» du paradigme décrié par Robinson. Les étudiants ne font que se prêter au jeu. Ils savent que, dans le système actuel, leurs apprentissages sont généralement évalués en fonction de leur capacité à reproduire une quantité satisfaisante de savoirs et de comportements, selon des échéances fixes (Demers, 2016, p. 3). Pourquoi valoriseraient-ils d’autres types d’aptitudes?
Le système d’éducation actuel encourage les enseignants à produire des petits gâteaux identiques. Ceux qui n’entrent pas dans le moule finiront par être exclus. Mais, comme l’a souligné Noam Chomsky, l’éducation (et plus spécifiquement l’université) ne devrait-elle pas «permettre à tous de contribuer à la hauteur de leurs capacités à la construction de la société, d’être partie intégrante de la culture générale, d’y contribuer et d’en bénéficier» (Nadeau-Dubois, 2013, p. 187)?
Je suis professeure de rédaction dans un programme visant à former des traducteurs et des rédacteurs professionnels. Les matières que j’enseigne doivent se conformer à certains standards du travail. Comme enseignante, puis-je à la fois préparer mes étudiants au marché du travail et accorder une plus grande place aux compétences non intellectuelles? Il me semble qu’un changement de paradigme en éducation implique de repenser nos attentes dans d’autres sphères de la société, comme celle du travail. Sinon, nous ramerons à contre-courant.
Références citées
Demers, S. (2016). L’efficacité: une finalité digne de l’éducation? Revue des sciences de l’éducation de McGill, 51(2), 961-971.
Nadeau-Dubois, G. (2013). Libres d’apprendre. Plaidoyers pour la gratuité scolaire. Montréal : Écosociété.
Les idées présentées ici me mènent à une réflexion sur la part réelle des enseignant(e)s dans un tel changement conceptuel en regard à l’instruction scolaire. Pouvons-nous vraiment, réellement, instiguer un passage profond vers la centration sur l’apprentissage alors que nous sommes nous-mêmes issus d’un moule usiné, tel que métaphorisé par Robinson ? Le rapport au savoir de l’enseignant(e) influence directement les pratiques en classe et ainsi donc, le rapport au savoir des étudiants : “les étudiants ne font que se prêter au jeu”. Alors comment faire pour briser ce cercle vicieux ? Comme il l’a été proposé par quelques collègues ( https://ddd9651a18cr.wordpress.com/2018/09/06/billet-1-les-changements-de-paradigmes-en-education/), les moteurs instigateurs du changement doivent dépasser le cadre scolaire, donc dépasser les pratiques de l’enseignant(e), et prendre racine dans d’autres sphères de la société. En d’autres mots, les changements sociaux prennent du temps, ce qui explique peut-être pourquoi l’idée de Piaget aura bientôt 100 ans, et le système d’éducation publique n’est pas un domaine d’exception.
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