Dis-moi comment tu enseignes et je te dirai à quelle théorie tu adhères

Comment les étudiants apprennent-ils? Comment enseigner pour favoriser l’apprentissage? Dans mes récentes lectures, je me suis intéressée aux théories de l’apprentissage. J’ai découvert que ma pratique enseignante concordait avec deux théories majeures.

D’abord, les cognitivistes peuvent être fiers de moi. Ce n’est pas pour me vanter, mais l’une de mes forces est la structuration des informations. Je prends un plaisir fou à décortiquer la matière avant de la présenter aux étudiants. J’atomise les contenus. Je ne me suis jamais demandé si c’était une bonne approche… mais les cognitivistes vous diraient que c’est la meilleure approche. En effet, selon le courant cognitiviste, les étudiants apprendraient en codifiant et en ordonnant les informations qui leur sont présentées (Ertmer et Newby, 2013). Ainsi, l’enseignant qui structure bien les informations faciliterait le traitement et la mémorisation de ces dernières par les étudiants (Ertmer et Newby, 2013).

Ce n’est pas le seul exemple de mon adhésion (inconsciente) au cognitivisme. Au début de chaque trimestre, j’ai l’habitude de demander aux étudiants ce qu’ils savent déjà sur le sujet du cours. En vérifiant leurs connaissances antérieures, c’est comme si j’aidais les étudiants à se diriger au bon endroit dans leur cerveau, c’est-à-dire l’endroit à partir duquel ils pourront créer de nouveaux liens. Selon les cognitivistes, cette stratégie permettrait aux apprenants de mieux assimiler les nouvelles informations (Ertmer et Newby, 2013).

Mais je ne suis pas une cognitiviste pure. J’ai également un peu de constructivisme en moi. Lorsque je suis en panne d’inspiration pour un examen, je demande aux étudiants de rédiger un court texte expliquant ce qu’ils ont appris durant le trimestre. Pour certains, c’est l’apocalypse. Je peux lire dans leurs yeux qu’ils se demandent ce que je souhaiterais qu’ils écrivent. Je ne les laisse pas languir longtemps : je leur dis qu’il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses. Comment pourrais-je les contredire sur ce qu’ils croient avoir appris? L’apprentissage est une expérience personnelle (Ménard et St-Pierre, 2014). Ce que l’un a appris peut être différent de ce que l’autre a appris. Cette manière de voir la construction des connaissances est l’un des principes phares du constructivisme. Effectivement, selon l’approche constructiviste, ce sont les étudiants qui construisent les connaissances et non les enseignants (Joannert, 2006).

On en apprend tous les jours.

Sources citées

Ertmer, P. A. et Newby, T. J. (2013). Behaviorism, Cognitivism, Constructivism: Comparing Critical Features From an Instructional Design Perspective. Performance Improvement Quarterly, 26(2), 43-71.

Jonnaert, P. (2006). Constructivisme, connaissances et savoirs. Transfert, (3), 5-20.

Ménard, L. et St-Pierre, L. (2014). Paradigmes et théories qui guident l’action. Dans Se former en pédagogie de l’enseignement supérieur (pp.17-34). Montréal : Collection PERFORMA AQPC.

6 réactions sur “Dis-moi comment tu enseignes et je te dirai à quelle théorie tu adhères

  1. J’aime beaucoup la manière dont tu illustres les théories par ta pratique d’enseignante. Dans ma pratique de CP, j’ai souvent dû expliquer aux experts de contenu que nous allions « granulariser », « délinéariser » leur contenu, ce que tu fais parfaitement en décrivant que « tu décortiques la matière et que tu atomises les contenus. Je vais retenir ta formule!

    J’aime

  2. Ce que tu dis sur la structuration des informations m’interpelle. Comme enseignantEs, c’est souvent ce que nous passons le plus de temps à préparer, non ? Alors, dans une perspective plus centrée sur l’apprenant, pourquoi ne pas demander aux étudiants d’eux-mêmes atomiser le contenu et de l’organiser selon ce qui leur convient le mieux en terme de mémorisation, de compréhension, d’analyse ou peut-importe l’objectif visé ? En interagissant ainsi avec l’objet d’apprentissage, ils sont actifs (on renforce au passage notre tendance cognitiviste). Et tant qu’à y être, pourquoi ne pas leur demander de comparer leur atomisation et leur organisation du contenu avec celle de leurs collègues (un petit choc cognitif par-ci, histoire de saupoudrer tout ça d’un peu de socio-constructivisme !) ?

    J’aime

  3. Merci beaucoup Marie-Josée pour le partage de ta réflexion, toute en nuances et en confessions!

    Je partage ta conclusion sur l’apprentissage comme expérience personnelle/continue et donc sur la façon dont le quotidien nous amène à entrevoir sa complexité et sa rétivité (la valeur de sa complexité). Si le quotidien peut teinter et nous amener à transformer notre pratique enseignante, à l’adapter à l’apprenant.e, si notre enseignement est évolutif et adaptatif, quelle(s) conclusion(s) peut-on en tirer au plan théorique de l’apprentissage? La conciliation/combinaison et l’intrication de plusieurs théories de l’apprentissage le rendent-ils plus riche face à la démotivation scolaire, plus adapté à divers publics, plus riche que si nous ne suivions qu’une seule théorie?

    Je te pose cette question parce que je me pose la question de savoir si le discours de l’enseignant.e sur sa pratique d’enseignement peut suffire à nous garantir à quelle théorie de l’apprentissage elle/il adhère (versus l’analogie proposée dans ton titre).

    L’analogie est certes tentante. Cela d’autant plus que les étudiant.e.s peuvent apprendre en codifiant/organisant les contenus d’apprentissage et les professeur.e.s leur faciliter le traitement et la mémorisation, dans une perspective cognitiviste (Ertmer et Newby, 2013).
    Mais amener les étudiant.e.s à partir de ce qu’ils connaissent pour favoriser leur assimilation de nouvelles connaissances n’est-il le propre que du courant cognitiviste?

    Déjà la maïeutique socratique et le questionnement de ce que l’on sait au regard de ce que l’on ne sait pas, de ce qui n’est pas garanti avec certitude (de ce qui n’est pas « clair et distinct »), avait amené Descartes à inviter quiconque à remettre en doute tout ce dont on ne peut être certain (doute méthodique) et, pour certains, à contribuer ainsi au développement de la théorie cognitive de l’apprentissage.
    En posant et en systématisant la question de la connaissance et – avec elle – celle de la possibilité humaine de connaître le monde extérieur, Descartes avait aussi permis de s’interroger activement sur la construction de la connaissance par le sujet pensant; ce qui le rapproche aussi du constructivisme, et pas/plus seulement du cognitivisme…

    Je prends cet exemple pour faire le lien avec ta confession finale: la présence de constructivisme en toi par-delà ton adhésion cognitiviste. J’en reviens alors à ma question de départ sur l’équation entre le discours de l’enseignant.e et « sa » et, dans ton cas, ses théories de l’apprentissage potentielles.
    Mais si ce sont vraiment les étudiant.e.s et non les enseignant.e.s qui construisent les connaissances (Jonnaert, 2006), que proposerais-tu comme réponse(s) à un étudiant en désarroi qui penserait ne pas avoir appris par ses lectures, parce qu’il n’a pas entendu son professeur lui dire/livrer ce contenu?

    Une petite question posée afin de poursuivre la discussion, qui nous amènera peut-être à aussi interroger la valeur de vérité pour les étudiant.e.s de la codification des savoirs, versus la force de persuasion de l’expérience personnelle chez les enseignant.e.s.

    WikiTED-ia (2016). « Cognitivisme ». Récupéré de http://wiki.teluq.ca/wikitedia/index.php/L%27apprentissage_dans_l%27approche_cognitive
    Ertmer, P. A. et Newby, T. J. (2013). « Behaviorism, Cognitivism, Constructivism: Comparing Critical Features From an Instructional Design Perspective ». Performance Improvement Quarterly, 26(2), 43-71.
    Jonnaert, P. (2006). « Constructivisme, connaissances et savoirs ». Transfert, (3), 5-20.

    J’aime

  4. Pingback: Métamorphoses enseignantes | Rédacto(b)logue

Participez à la discussion!